D’après Interpol, si l’Afrique jouit depuis plusieurs décennies d’une stabilité accrue et d’une croissance économique en hausse, mais ces conditions ont aussi facilité les activités criminelles transfrontalières sur l’ensemble du continent. Le Sénégal n’échappe pas à cette réalité. C’est du moins le constat alarmant d’une note publié par ENACT, un organisme qui vise à réduire l’impact de la criminalité organisée transnationale sur le développement, la gouvernance, la sécurité et l’État de droit en Afrique.
Le document parcouru par Ola sn rappelle qu’en février 2021, le Groupe d’action financière (GAFI) a mis le Sénégal sur sa liste grise, indiquant que le pays ne respectait pas pleinement les normes internationales contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il est établit que l’un des principaux moteurs de développement du pays est le trafic de drogue, lequel génère près de 360 millions de dollars américains (200 milliards de francs CFA) par an. Les trafiquants de drogue utilisent diverses opérations pour blanchir leur argent, souligne l’auteur de l’article Abdelkader Abderrahmane, Senior Researcher, ENACT, West Africa Regional Organised Crime Observatory, ISS, pour qui l’immobilier et la construction étant les secteurs de prédilection des bandits au col blanc. En effet, la flexibilité de l’immobilier, qui permet de dissimuler les origines financières de l’investissement et l’identité du propriétaire, rend le secteur attractif pour ceux qui injectent des fonds illicites dans l’économie légale. Dès 2011, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) alertait déjà sur la facilité d’acquisition de biens au Sénégal par des trafiquants de drogue basés en Europe. L’absence d’un registre et l’utilisation de prêt-non par les investisseurs offrent une couverture. En 2013, on estimait qu’environ 96 % des 480 millions de dollars US investis dans le secteur immobilier provenaient d’origines douteuses. Selon le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI), 30 % des biens criminels confisqués entre 2011 et 2013 étaient des maisons et des immeubles. En 2019, environ 120 agences immobilières de plus avaient été créées par des trafiquants de drogue à Dakar qu’au cours de la décennie précédente, offrant aux trafiquants un canal pour blanchir leurs gains mal acquis.
« Le Sénégal est actuellement classé huitième au monde pour les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme »
L’argent provenant du commerce de la drogue aurait également stimulé la construction dans tout le pays et dans les villes côtières de Dakar, Saly et Mbour. A ce propos, le spécialiste indique qu’un trafiquant de drogue français recherché par Europol a beaucoup investi dans le foncier et construit des centres commerciaux et des bureaux.
Cependant, poursuit la même source, le Sénégal a renforcé son cadre juridique et institutionnel de lutte contre le blanchiment d’argent ces dernières années. Mais certaines dispositions n’ont pas encore été pleinement mises en œuvre, dit-t-on. « Malgré l’engagement du gouvernement à collaborer avec le Groupe Intergouvernemental d’Action Contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) et le GAFI pour lutter contre le blanchiment d’argent, la présence du Sénégal sur la liste grise du GAFI indique que les progrès sont lents. », ajoute Abdelkader Abderrahmane pour qui la réponse de l’État est également limitée par son manque d’expertise technique pour, par exemple, former les employés des entreprises financières (comme les bureaux de change et les services de transfert d’argent) à identifier le blanchiment d’argent. « Ainsi, le nombre de personnes poursuivies pour délits financiers par rapport au nombre d’infractions commises reste faible. », remarque ce dernier.
La politique publique financière actuelle du Sénégal peut même alimenter indirectement ces flux d’argent illicites. Le GIABA rapporte que le blanchiment d’argent est rendu possible par l’utilisation généralisée de l’argent liquide, l’étendue du secteur informel et un système judiciaire qui ne permet pas à la police d’obtenir des informations sur les bénéficiaires présumés du blanchiment d’argent. Le manque de liquidités dans le système bancaire pour financer l’industrie de la construction peut également favoriser le blanchiment d’argent. Près de 40 % des entreprises sénégalaises peinent à obtenir des prêts auprès des banques, contre 14 % ailleurs dans le monde. Cette situation pousse de nombreux Sénégalais à chercher des alternatives financières par des voies illégales.
Pour lutter contre le blanchiment d’argent dans l’immobilier et la construction, et encourager les pratiques commerciales légitimes, souligne le réacteur de la note, des mesures visant à dissocier le CFA de l’euro sont préconisées. L’indépendance du CFA signifierait une plus grande flexibilité et des options macro-économiques pour le Sénégal, notamment en matière de politiques budgétaire et monétaire, poursuit-t-il. L’indépendance fiscale donnerait plus de latitude aux banques sénégalaises pour accorder des prêts et bien que ce ne soit pas une solution complète au problème du blanchiment d’argent, cela est susceptible de modifier le schéma actuel de dépendance à l’égard des gains mal acquis, a-t-il conclu.