Yoann Aboulkassimi, 29 ans, a commencé sa carrière en tant que contrôleur de gestion à La Poste. Ce jeune diplômé d’école de commerce, aux envies de voyage, a progressivement dérivé vers l’entrepreneuriat au Sénégal, où il a créé en 2019 le Petit Dakarois, une marque de vêtements responsable.
« J’ai vu mon père fonder sa société, j’ai donc grandi dans le milieu de l’ entrepreneuriat et cela m’a toujours fasciné. Ma vision : c’est au contact du terrain qu’on apprend le plus. Mon père est d’origine marocaine, issu d’un milieu populaire. Mes parents se sont toujours efforcés de m’inculquer les valeurs du travail. L’idée d’entreprendre m’attirait, mais j’ai préféré commencer ma carrière en tant que salarié.
Après mon bac ES à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), j’ai intégré l’école de commerce ESG (aujourd’hui PSB Paris School of Business). Je m’y suis spécialisé en contrôle en gestion, car cela me semblait être un poste qui me permettrait de toucher à tout. Lors de ce cursus, j’ai fait une alternance de deux ans à La Poste, à Roissy. C’était très enrichissant, parce que ma tutrice m’a rapidement donné des responsabilités. Quand elle n’était pas là, je gérais même l’équipe.
Un an de voyages
Mon alternance terminée, La Poste m’a proposé de rester, mais j’ai préféré partir voyager. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont permis de voyager chaque année avec eux enfant, et j’adorais vadrouiller. Je me suis donc envolé pour l’Australie, où j’ai rejoint un ami qui terminait ses études.
On a travaillé en tant que taxis vélo, concept qui n’existait pas encore à Paris, pendant quatre mois. Grâce à ce job bien payé, j’ai pu mettre de l’argent de côté. Puis, on a acheté un 4×4 qu’on a équipé avec des amis et on a longé les côtes de l’Australie en emmenant des gens qu’on rencontrait sur le chemin. J’aimais beaucoup le pays mais je ne me voyais pas y passer ma vie.
A la suite d’un problème technique de notre 4×4, on a décidé d’utiliser nos économies pour partir vadrouiller en Asie du Sud-Est pendant un mois, puis de faire un road-trip pendant plus de mois de Paris à Agadir, au Maroc.
Cela faisait un peu plus d’un an que j’avais terminé mon alternance, et je me disais qu’il était temps de reprendre le boulot. Où ça ? J’adore Paris mais je ne me voyais pas y retourner tout de suite. Pour moi, travailler là-bas, c’était rentrer dans une routine et je n’étais pas prêt pour ça. J’avais besoin de découverte, avec un poste à l’international.
Je me suis renseigné sur les offres en VIE (volontariat international en entreprise) en Afrique, continent que j’avais envie de découvrir. Trois postes ont attiré mon attention : un au Sénégal, un au Gabon, un au Maroc. Le Maroc, je connaissais déjà. Après quelques recherches et discussions avec mon entourage, et des retours positifs sur le Sénégal, j’ai décidé de candidater là-bas, chez Servair, une filiale du groupe Air France-KLM et de gategroup, spécialisée dans la restauration aérienne. L’entreprise cherchait un responsable financier pour une mission de deux ans. Mon profil a été retenu et je me suis installé à Dakar en janvier 2017. Le poste m’a tout de suite plu, j’avais des responsabilités et mon quotidien était très dynamique.
Des vêtements sur-mesure
J’allais régulièrement me faire faire des vêtements chez le tailleur du coin. Les tailleurs sénégalais sont réputés pour le sur-mesure. Il y en a quasiment à tous les coins de rue. On achète le tissu sur le marché, puis on va chez l’un d’eux pour lui montrer ce que l’on veut. On se met ensuite d’accord sur le prix. Le marchandage est très ancré dans la culture locale.
De nombreux locaux musulmans ou chrétiens se font des tenues pour les jours de prière. Moi, je demandais souvent des bombers réversibles, avec du tissu de chaque côté.
Je rentrais régulièrement à Paris voir mes proches. A chaque fois, mon entourage me complimentait sur mes habits confectionnés par le tailleur du coin. Beaucoup me demandaient si je pouvais leur en rapporter un lors de mon prochain passage.
Une idée entrepreneuriale
De fil en aiguille, l’idée de fabriquer des vêtements au Sénégal et de les revendre en France m’a paru prometteuse. Avec trois amis partageant cette opinion – mon meilleur ami venu me voir au Sénégal et deux amis que j’avais rencontrés sur place (un Français et un Sénégalais) -, on a organisé des ventes de vêtements à Paris dès le printemps 2018. Je m’occupais principalement de la partie production au Sénégal avec l’un, et les deux autres vendaient à Paris.
Grâce au bouche-à-oreille, on a participé à de plus en plus d’événements. On a notamment eu un stand sur le parvis de La Défense et fait des ventes dans des pop-up stores à Paris. On voyait que notre concept et l’histoire des vêtements plaisaient, et on a commencé à créer une belle communauté.
Le projet nous a pris de plus en plus de temps, et je passais quasiment tout mon temps libre à m’en occuper. Pendant ma deuxième année à Servair, il y a eu un véritable engouement autour du projet. Si bien que j’ai décidé de m’y consacrer pleinement. J’ai négocié une rupture conventionnelle en août 2018, avant la fin de mon VIE, et cofondé Le Petit Dakarois six mois plus tard.
Deux ateliers au Sénégal
Depuis, l’entreprise grandit. On a désormais deux ateliers à Dakar, on emploie une quinzaine de personnes, parfois plus en période de pic d’activité. On fabrique plusieurs produits. Notre pièce phare ? Les bombers réversibles. Un côté est fabriqué avec un tissu wax aux motifs colorés, un autre est uni, avec un rappel du tissu coloré sur les poches. On fait aussi des t-shirts épurés, avec une touche de motif, par exemple sur les poches.
Proposer un prix juste est important pour nous : on se met d’accord sur le tarif avec les couturiers puis on vend à prix fixe, on refuse les marchandages et on ne fait jamais de soldes. Ainsi, tout le monde y trouve son compte : les artisans, les fournisseurs de tissus, et nous. Nos bombers sont ainsi vendus 89 euros. Je suis fier de travailler avec de plus en plus de monde. Au Sénégal, un emploi peut faire vivre toute une famille, et cela nous motive beaucoup.
Un projet bénévole en parallèle de la création d’entreprise
L’un de mes amis cofondateur de la boîte vient de Kiniabour, un petit village à 70 km au sud de Dakar, où il n’y avait pas d’eau potable et tout juste l’électricité quand on s’est rencontrés, en 2017. L’école était délabrée, le dispensaire aussi. On a eu envie d’améliorer les conditions de vie locales, avec un projet social. Depuis, nous avons bénévolement rénové le dispensaire.
Nous avons décidé d’aller plus loin dans notre soutien au village, en reversant une partie des bénéfices de l’entreprise à cette rénovation. Prochaine étape, peut-être : rénover l’école.
Aujourd’hui, je partage ma vie entre Dakar et Paris. Nous avons rejoint La Caserne en juin 2021, le plus grand incubateur de transition écologique de la mode et du luxe en Europe, situé au coeur de Paris. Cela va nous apporter pas mal de visibilité et nous permettre d’ouvrir un corner de vente sur place. Les gens pourront ainsi voir notre travail.
On va aussi pouvoir profiter d’un grand réseau, car La Caserne abrite beaucoup de marques qui s’entraident. Cela va potentiellement nous offrir de nouvelles opportunités de collaboration avec des magasins et des fournisseurs. On bénéficie également de masterclass organisées gratuitement, la dernière en date nous permettant de savoir comment calculer et réduire notre empreinte carbone. Un point important pour nous. »
Ola Sn et Les Echos Star